14:28 – Sur cette chaîne espagnole, un chef de service remet à sa place une journaliste qui cherche à tout prix le sensationnel.
– Journaliste : Peut-on déjà parler de saturation totale ? Il y a des hôpitaux où, on l’a vu, les étages se remplissent, mais peut-on déjà parler de saturation ?
– Médecin : En fait il y a une confusion. Vous dites « les cas de Covid augmentent », mais ce n’est pas vrai. Les chiffres augmentent, mais pas le nombre de patients malades du Covid.
Prenons le temps de nous attarder à cette petite séquence de 20 secondes, à partir de 14’28 » dans laquelle un médecin espagnol s’exprime sur la TV publique
La séquence semble aller tout-à-fait dans le sens des thèses défendues par le réalisateur. Les journalistes exagéreraient la gravité de la situation. L’augmentation du nombre de cas et l’augmentation du nombre de malades, seraient deux choses n’ayant rien à voir l’une avec l’autre.
Pour les francophones, cela nous rappellera peut-être les débats et polémiques qui ont eu cours pendant l’été, lorsque certains « spécialistes » et certains « intellectuels » nous assuraient qu’il n’y avait pas la moindre trace de 2ème vague à l’horizon. Souvenons-nous, par exemple, de Bernard-Henri Lévy plaisantant sur les « malades imaginaires. »
Revenons en à cette petite séquence du documentaire, sur la TV espagnole ( Lien vers l’émission complète). Nous sommes le 13 août, le médecin s’appelle Luis de Benito, il est spécialiste du système digestif.
L’interview en question a fait passablement de bruit dans la presse et sur les réseaux sociaux. Il faut dire que ce médecin ne s’est pas contenté de soutenir que la situation était calme dans les hôpitaux. Non.
Il affirme que l’augmentation des cas n’est due qu’à l’augmentation des tests. Que les personnes positives ne sont pas forcément des malades. Qu’on gonfle les chiffres en comptabilisant comme malades du Covid des gens ayant d’autres affections. Et ça va encore plus loin. Selon lui il y aurait un plan pour exagérer la gravité de la pandémie et justifier ainsi un confinement pour l’automne 2020. Les recherches sur les vaccins ne seraient qu’une question de business parce que le vaccin n’aurait aucun intérêt… L’immunité de groupe serait plus ou moins atteinte, le virus serait devenu plus ou moins inoffensif et il serait inutile de vacciner les gens. Mais le business et les lobbies pousseraient à la vaccination…
Cela commence à sentir un peu les histoires de complot, non ? L’intervention du Dr L de Benito a d’ailleurs été très appréciée par les sites de réinformation et par tout ce que les réseaux sociaux hispanophones comptent comme anti-vaccins, covido-négationistes, extrémistes politiques et complotistes divers…
Rajoutons que lors de cette interview, le Dr L de Benito en a profité pour faire un « placement de produit », c’est-à-dire présenter le livre qu’il venait de sortir, dans lequel il parle clairement de la pandémie au passé (rappel, nous sommes alors dans la première moitié d’août 2020).
Et il se passe encore une chose lors de cette interview, une chose que le réalisateur du documentaire n’a pas jugé utile d’évoquer. Le Dr de Benito s’en prend aux journalistes… Et il les accuse d’exagérer la gravité de la situation ET D’AVOIR NIÉ LA PANDÉMIE EN MARS ET AVRIL. Oui. Selon lui, les journalistes auraient complètement sous-estimé la gravité de la situation au printemps, lorsque les hôpitaux étaient saturés.
Faisons une pause.
C’est bizarre, non ? Là, il est en train d’accuser les médias d’avoir sous-estimé la gravité de la pandémie au printemps, et même de l’avoir niée. Une accusation qui contredit complètement les thèses du documentaire dont nous parlons. Et de fait, il est facile de fouiller dans les archives des médias espagnols en mars et avril 2020. Et on voit qu’il était bien question d’hôpitaux débordés, d’afflux de malades, etc.
En fait, au printemps, pas mal de rumeurs circulaient, accusant les autorités espagnoles de SOUS-ESTIMER le nombre de morts, avec la complicité des médias. Par exemple, Vox, parti d’extrême droite espagnol, avait diffusé des fake à ce sujet, des histoires de cercueils cachés, etc. Ce n’est que plus tard, que l’accusation s’est inversée et qu’on a prétendu que les autorités (et les médias) exagéraient l’ampleur de l’épidémie. Et les Français s’en souviennent peut-être, mais chez eux il y avait aussi eu au printemps 2020 des rumeurs accusant les autorités de sous-estimer le nombre de victimes.
Revenons en Espagne, auprès de notre médecin. Qui est-il au fait ? Un spécialiste du système digestif nommé Luis de Benito. Mais encore ? Qu’a-t-il de spécial ? Des médecins espagnols qui ont donné des interviews dans les médias, il y en a eu des wagons entiers. Alors pourquoi lui ? Pourquoi ce médecin espagnol-là se retrouve dans un documentaire belge ?
Remarquons d’abord qu’il n’est pas chef de service, contrairement à ce qui est dit dans le documentaire. Dans l’interview, il est présenté comme médecin (« médico ») travaillant à l’Hôpital El Escorial de Madrid et non comme chef de service (ce qui serait « jefe de servicio »). Nous avons vérifié et consulté le site de son cabinet, sa page Linkedin et le site de l’hôpital El Escorial. Aucun doute possible. Et dans toutes nos recherches, nous n’avons trouvé aucune source (médias traditionnels, réseaux sociaux, sites ouvertement complotistes, etc.) le qualifiant de « chef de service ». À par le documentaire « Ceci n’est pas un complot. » Ce n’est qu’un détail. Un parmi beaucoup d’autres.
Nous avons donc trouvé passablement de mentions de ce médecin et de son intérêt pour la pandémie. Par exemple: une interview dans un journal local, un peu antérieur à celle de la TV publique : « En breve volveremos a tener otra pandemia » (« Bientôt nous aurons une autre pandémie »)
Comment peut-il en être aussi sûr ? Simple. Parce que le Covid 19 est un virus sorti d’un laboratoire, que tout ça est une expérience sociale et que ceux qui contrôlent ça vont recommencer. Oui, il dit ça. Noir sur blanc. Et il dit d’autres choses: « La peur est un élément de pouvoir et il y a de gros intérêts géopolitiques. Le pouvoir mondial tente de prendre le contrôle des volontés. »
Allons plus loin encore. Dr de Benito a une chaîne YouTube. Écoutons ce qu’il répond à un auditeur qui le questionne sur le Nouvel Ordre Mondial ? :
Oui, il semble qu’il existe un plan des puissant, le Nouvel Ordre Mondial. (…) Les spéculateurs s’en sont mis plein les poches grâce à tout ceci, c’est pour ça que je dis que ça va se reproduire. (…) C’est-à-dire, ça va être une expérimentation qui va se reproduire. Bien. Le problème c’est de savoir quel est cet agenda, l’agenda du Nouvel Ordre Mondial, dont on parle beaucoup. Ce que je vois c’est : quelle serait la capacité de réponse d’un être humain si les choses sont déjà écrites comme ça ? Jusqu’à quel point peut-on encore dire ‘ça ne se passera pas comme ça’ si tout a déjà été déterminé par les puissants. Je ne le sais pas. Je ne sais pas. Je n’ai pas encore forgé mon opinion. (…)
Le Dr de Benito semble habitué à intervenir dans le forum de discussion d’un site covido-négationiste, « Médicos por la Verdad » (Cette association mérite à elle-seule un article. Et il faudra y revenir, vu qu’il y est fait allusion dans le documentaire…). Exemple de propos tenus, le 11 septembre, alors que la situation était critique en Espagne :
No se preocupe. Este mes se acaba la pandemia y se desinfla este globo. Parece que ya todo el mundo recula y no se atreven a prolongar este absurdo. (Ne vous inquiétez pas. Ce mois-ci la pandémie prend fin et cette baudruche se dégonfle. Il semble que tout le monde recule et qu’ils n’osent plus prolonger cette absurdité.)
Nous pourrions y passer des heures. Ce médecin est également connu pour être un sympathisant du parti d’extrême-droite, Vox (qui a joué un rôle non-négligeable dans la diffusion de certaines fausses rumeurs au sujet de la pandémie).
Revenons maintenant à la question posée plus haut : pourquoi ce médecin espagnol-là se retrouve dans un documentaire belge ? C’est quand même un manque de chance terrible. Imaginez donc. Nous voudrions faire un documentaire intitulé « Ceci n’est pas un complot » et LE HASARD fait que nous tombons sur ce genre de phénomène, un sympathisant d’extrême-droite qui théorise sur le Nouvel Ordre Mondial et le Grand Reset, qui raconte que le virus est sorti d’un laboratoire, qu’on nous prépare d’autres pandémies du même genre dans des laboratoires afin de mieux nous contrôler par la peur, etc.
Plaisanterie mise à part, autre hypothèse: Bernard Crutzen a voulu diffuser certaines thèses, et il a simplement recherché des « sources » validant ces thèses, sans se soucier à aucun moment de la crédibilité des sources en question. Et cette recherche l’a naturellement poussé vers des personnes telles que le Dr Luis de Benito.
Avant de conclure, prêtons attention au contexte de cette interview sur la TV espagnole. C’était donc le 13 août. Pour mémoire, l’Espagne a été frappée avant la France, la Belgique ou la Suisse par la 2ème vague de Covid. Le 13 août, les hôpitaux espagnols commençaient à voir affluer les malades. Mais les hôpitaux étaient encore loin d’être pleins. Les propos narquois du Dr L de Benito, pouvaient encore faire illusion à ce moment-là. Mais nous savons ce qu’il en a été ensuite. Et Mr Bernard Crutzen le sait aussi, mais il n’y fait aucune allusion dans son documentaire.
La deuxième vague a envoyé des milliers et des milliers d’Espagnols dans les hôpitaux et beaucoup ne s’en sont pas sortis. Jetons un œil aux chiffres, par exemple sur ce site et examinons la courbe des décès en Espagne.
Voyons également cet autre graphique, avec les nouvelles admissions dans les hôpitaux de la région de Madrid (« UCI » désignant les soins intensifs, ce que les Français appellent les « réa »). Rappelons que Madrid avait été une des régions les plus touchées aux monde par la 1ère vague; en regardant ce graphique, on peut avoir l’illusion que la 2ème vague n’était pas bien grave. Ce n’est qu’une illusion due à la comparaison avec l’horreur qu’avait la première vague, au printemps 2020.
Regardons bien ces graphiques et, dans ce contexte, réfléchissons à l’impression que nous donnent les propos du médecin espagnol, tels qu’ils apparaissent dans le documentaire. Réfléchissons maintenant à l’impression qu’ils peuvent donner hors contexte, sur une personne qui n’a pas les informations ci-dessus.
Nous parlons d’un documentaire qui porte « sur le traitement médiatique de la crise par les médias belges francophones, ce qu’ils disent, comment ils le disent, et ce qu’ils taisent. » (sic). Dans le cadre de cette démarche, le réalisateur s’est-il interrogé sur ce que lui même dit, sur comment il le dit et sur ce qu’il tait ?
Certains trouveront que c’est faire beaucoup de commentaires pour une simple séquence de 20 secondes, sur un documentaire de plus d’1 heure. On les invitera à regarder la séquence qui précède. Et ensuite celle qui suit. Ces deux séquences méritent elles aussi quelques recherches…
2 thoughts on “Un médecin espagnol remet à sa place une journaliste qui chercherait à tout prix le sensationnel. Vraiment ?”
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