Sur Facebook, Renaud Maes s’interroge :

« Ceci n’est pas un complot », peut-être… mais est-ce un documentaire ?
Je trouve questionnant que l’on gratifie la chose de cette désignation de « documentaire », dans la mesure où je n’arrive pas à situer justement où est la démarche documentaire dans ce film. C’est-à-dire, où est la tentative de saisir le réel ?
Je vois une enquête à charge, une argumentation pour soutenir une thèse (juste esquissée, mais avec ce qu’il faut d’éléments pour que l’on puisse la saisir) – comportant quelques moisissures argumentatives usuelles (généralisations abusives, décontextualisation des données, partialité dans la critique des sources, etc.) et quelques méthodes devenues des classiques de l’enquête télévisée (élisions, plans de coupes, montage outrancier des entretiens, exhibitions d’experts parfois fort peu spécialisés dans le thème abordé) -, avec en plus un effet de style hyper « pensé TV » (la mise en abîme de la TV dans le film est un « truc » de reportage TV bien bien convenu et à mon sens un rien obsolète).
C’est intéressant en fait, parce que la forme narrative est celle du reportage, donc on se dit « docu ». Mais non, mille fois non ! On ne manque pas en Belgique d’exemples de reportages qui sont en fait de la fiction, ce qu’on nomme de manière fort oxymorique « docufiction » – « Bye Bye Belgium » est un exemple célébrissime -. Ces films ne sont finalement pas du documentaire… mais bien de la fiction puisqu’ils ne saisissent rien du réel (et encore, dans le cas de « Bye Bye Belgium », on peut en discuter).

Pour moi, il y a là quelque chose qui dépasse le cadre du film que l’on regarde aujourd’hui avec énormément d’attention : la critique que l’on fait de cet exemple pourrait en effet s’étendre à bien d’autres productions, sur des thèmes variés, diffusées parfois sur des grandes chaînes publiques (y compris Arte) et parfois encensés jusque dans les milieux académiques. Et il y a un enjeu très fondamental là-derrière, qui est « comment rendre compte du réel sans le trahir ? » (thème qui a donné un dossier de La Revue Nouvelle en décembre 2019).
Ici, les signes de trahisons sont multiples, tellement nombreux qu’on ne peut même pas en faire la liste. Et d’une certaine manière, ils reviennent à l’éthique de la réalisation. Ici, il n’y a rien de cet ordre. Une forme d’absence totale d’éthique au profit d’une logique d’objectifs (toucher le plus grand nombre, faire le buzz, distiller une thèse).
Ce qui est triste, c’est que ce film sans éthique de réalisation, mais qui n’est qu’une suite d’emprunts de codes pour « donner les gages » d’une apparence « sérieuse », arrive finalement à trouver un public bien plus facilement que les films fondés sur une éthique de réalisation mais qui, du coup, renoncent aux « codes du sérieux » pour interroger jusqu’à l’outil « caméra », pour questionner le montage, la dimension de « mise en scène ».
Du coup, j’aurais tendance à vous suggérer, ami.e.s Facebook, de ne pas perdre trop de temps sur ce film-là, mais d’aller voire d’autres démarches, bien plus belles, bien plus prenantes, bien moins manipulatrices.
Et j’en profite pour pointer deux de mes coups de cœur des 2 années précédentes : Le Temps Long de Lou Colpé et Sans frapper d’Alexe Poukine.