Entretien avec Caroline Lallemand pour Le Vif 09/02/21 – Mise à jour le 11/02/21
Olivier Klein est professeur de psychologie sociale à l’ULB, membre du groupe d’experts interuniversitaires « psychologie et corona »
Je trouve qu’il y a beaucoup d’éléments qui relèvent du discours complotiste. Il y a clairement une opposition entre des élites et des citoyens « lambda » à la merci de ces élites. Une opposition entre la presse et les experts, les politiques et les armes pharmaceutiques mus par un intérêt commun.
Si on prend la définition académique du discours complotiste, on y retrouve au moins trois caractéristiques. Tout d’abord, l’idée que tout est caché du grand public, qu’il ne faut pas se fier aux apparences. C’est très présent dans le documentaire: des personnes qui ont l’air bien intentionnées et qui travaillent en fait pour l’industrie pharmaceutique, les chiffres qui sont trompeurs,…
La deuxième idée est que tout est relié de façon cachée. Le documentaire émet des doutes mais c’est au spectateur à relier les points et à formuler une hypothèse face à un possible complot. Selon moi, il est difficile de ne pas tirer ce type de conclusion après l’avoir visionné : « ils sont tous pourris et de mèche pour s’en mettre plein les poches avec les vaccins et confiner les gens ». Même si la théorie du complot n’est pas abordée telle quelle, le côté secret y est supposé.
Le troisième élément d’un discours complotiste c’est l’idée que rien n’est dû au hasard, qu’il n’y a pas de coïncidence, notamment quand les chiffres changent à l’approche d’un Conseil de sécurité. On peut aussi retrouver ces caractéristiques dans des documentaires engagés comme ceux de Michael Moore. Mais, ici tout l’argumentaire est analysé sous un seul angle, on ne confronte jamais les interlocuteurs. Sciensano, entre autres, est dénoncé mais pas interrogé, les informations ne sont pas recoupées. Il n’y a pas de regard critique non plus sur les manifestations téléguidées par l’extrême-droite en Allemagne ou sur cette Trumpiste qui a participé à l’insurrection du Capitole. Tout est présenté de façon univoque, c’est une caractéristique d’une approche complotiste
En réalité, l’important n’est pas de savoir si ce documentaire est complotiste ou pas, ce serait rentrer dans son jeu. Ce qui est important, c’est que ce n’est pas un travail journalistique mais de l’ordre du pamphlet. On peut voir ce documentaire comme une plaidoirie, comme un point de vue, et non pas comme une enquête journalistique. Le problème, c’est que l’auteur se présente comme un journaliste qui fait une enquête indépendante et objective. La forme n’est pas claire. Bernard Crutzen se présente comme un simple citoyen, il se met à la hauteur du spectateur ce qui le différencie du documentaire « Hold-up ». L’auteur a une thèse et présente tous les éléments qui l’étaient pour susciter le doute. Le fait qu’il nourrit l’incertitude est plus vicieux encore que « Hold-Up » qui donnait une théorie bien construite.
Il est difficile de ne pas se faire prendre au jeu face à cet appel à reprendre sa liberté. Mais, dans une situation de pandémie ne plus avoir confiance en les autorités est problématique, notamment pour la réussite d’une campagne de vaccination. Ce genre de documentaire alimente une défiance qui est parfois justifiée. Certaines questions sont en effet légitimes. Les journalistes se sont eux-mêmes retrouvés dans une situation compliquée et ont fait des erreurs, mais il faut un vrai travail journalistique de confrontation des points de vue.