Penchons-nous sur une très brève séquence, 10 secondes à peine, à partir de 7:25. Nous entendons :  «En Italie, des médecins estiment que seul une minorité des décès en Lombardie doit être imputée au seul Covid.»

Simultanément, nous lisons à l’écran une traduction du titre de l’article de journal cité : «Bassettti : ‘Nous avons eu tort de compter les décès, même ceux qui ont une crise cardiaque avec un prélèvement positif ont été enregistrés comme étant morts du Covid.»

 

La source est le Corriere Della Sera, un quotidien italien prestigieux. Nous pouvons partir du principe qu’il s’agit là d’une source sûre…

Que dit réellement l’article du Corriere della Sera ?

…Une source sûre pour autant qu’on la cite correctement !

Le titre affiché dans le documentaire correspond bien au titre de l’article. Mais c’est au niveau du contenu et du résumé qu’en fait le documentaire que se situe le problème.

D’abord, il ne s’agit pas de propos tenus par DES médecins, mais par UN médecin, le Pr Matteo Bassetti. Ensuite, ce médecin se garde bien de parler de chiffres ou de proportions. Enfin, il ne prétend à aucun moment que seul une minorité des morts recensés en Lombardie pendant la 1ère vague serait due au Covid.

« Nous avons fait une erreur parce que nous avons compté les décès différemment du reste de l’Europe. Voulons-nous continuer l’erreur ? Depuis que nous avons changé la méthodologie de comptage des décès, nous diminuons considérablement la létalité, mais nous avons un péché originel concernant mars-avril, où toute personne qui arrivait à l’hôpital avec un prélèvement positif, même si elle avait une crise cardiaque, était qualifiée de morte par Covid.»

Bref, le Pr Matteo Bassetti reproche aux autorités italiennes d’avoir «fait du zèle» pendant la 1ère vague, par rapport au reste de l’Europe, en ce qui concerne le décompte des morts dus au Covid.

Cela change passablement de ce que nous raconte le film. Mais nous pourrions éventuellement nous dire que cela reste une révélation intéressante (Remarque : Faudrait-il en conclure que le Pr Bassetti, tout en critiquant ce qui a été fait dans son pays, salue la manière dont on a tenu les décomptes ailleurs en Europe ?…). Sauf que le réalisateur a «oublié» d’évoquer la suite de l’article :

«Toutefois, les affirmations de M. Bassetti sont en contradiction avec les données publiées en juillet par l’Istituto Superiore di Sanità («Insitut Supérieur de Santé») et l’ISTAT («Institut National de Statistique») : en analysant les informations communiquées par les médecins dans 4 942 dossiers de décès, le Covid « est la cause directement responsable du décès dans 89 % des cas de personnes testées positives au Sars-CoV-2 » ; pour les 11 % restants, « le Covid est de toute façon une cause qui peut avoir contribué au décès en accélérant des processus morbides déjà en cours, en aggravant l’issue de maladies préexistantes ou en limitant les possibilités de traitement ». En outre, le « Covid » est une maladie qui peut être mortelle même en l’absence de lien de causalité. En fait, il n’y avait pas de causes préexistantes de décès dues au Covid dans 28,2% des décès analysés ». »

L’article comporte un lien vers un rapport daté de juillet 2020, intitulé «Impact de l’épidémie de Covid-19 sur la mortalité – Les causes du décès chez les défunts positifs au test SARS-COV-2». Bref, les données récoltées ne confirment pas les propos du Pr Bassetti et contredisent complètement le récit du film.

Ajoutons qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, nous disposons de suffisamment de recul pour évaluer la mortalité de cette première vague et les choses sont claires : en Italie, comme dans la plus part des pays, il y a eu un excès de mortalité qui a en fait dépassé largement les chiffres officiels des morts du Covid, accompagné d’un recul de l’espérance de vie. Sans avoir à éplucher une littérature spécialisée trop ardue, on peut trouver de bons résumés dans des articles grand public comme ici ou ici.

Un peu de contexte : la première vague

Ce Pr Bassetti aurait-il raconté n’importe quoi ?

Il nous faut ici remettre un peu de contexte (ce que le film ne fait absolument pas).

En janvier et février 2020, nous entendons tous parler de plus en plus de ce virus chinois. Le Pr Bassetti, célèbre médecin italien, professeur d’université, habitué des médias et très actif sur les réseaux sociaux, se positionne à contre-courant de l’inquiétude ambiante et dénonce ce qu’il considère être de l’alarmisme : «Pas besoin de créer de l’alarmismdit-il alors jugeant ce nouveau coronavirus moins agressif que les pneumonies habituellement traitées dans les hôpitaux italiens.

 

Il tient plus tard ces propos:

«Nous restons toujours très attentifs, même en Italie, mais la situation semble sous contrôle. Ça suffit avec les proclamations catastrophiques. Que les cassandres se taisent.»

 

L’évolution de l’épidémie contredit tragiquement ces affirmations péremptoires : à fin février, il était devenu impossible de nier la gravité de la situation et le Nord de l’Italie se trouve plongée dans une immense catastrophe. Nous avons tous en mémoire ces récits de soignants italiens en pleurs, épuisés, et ces images de patients entassés dans les couloirs des hôpitaux.

Dans les régions francophones d’Europe nous avons alors des cas comparables, avec certains experts médiatisés qui réduisent cette affaire de «virus chinois» à une psychose injustifiée, avant que l’épidémie ne submerge tout. Bref, il n’y a pas qu’en Italie que certains experts médiatisés ont sous-estimé la gravité de la situation.

 

 

 

 

 

Un peu de contexte : la deuxième vague

Continuons à nous souvenir des événements de cette année 2020. Les beaux jours arrivent et l’épidémie s’atténue. A-t-elle disparu ? La majorité des experts pensent qu’une deuxième vague va arriver. Certains hurlent alors à la psychose, à la manipulation par la peur. On entend ici que l’hypothèse d’une 2ème vague relève de la science-fiction. On entend là que les cas ne sont pas des «cas», que les personnes testées positives ne sont pas de vrais malades, etc.

Et la 2ème vague arrive. Les théories sur les tests PCR qui ne seraient pas fiables et créeraient de faux malades ne résistent bientôt plus face aux hôpitaux qui se remplissent.

La colère gronde : comment se fait-il que l’on se soit laissé surprendre par cette 2ème vague, après une 1ère vague si meurtrière ? Certains en veulent alors à ceux que le public francophone a qualifié de «rassuristes», ceux qui prétendaient vouloir rassurer la population en niant l’arrivée d’une 2ème vague.

Toutes sortes de théories et de rumeurs se mettent alors à circuler pour nier l’évidence, ou pour au moins jeter le trouble : les hôpitaux ne seraient pas si pleins que cela, les chiffres seraient falsifiés en attribuant au Covid des décès dus à d’autres causes (voir cet exemple), etc.

Il se trouve que les mêmes polémiques, niant l’idée même de 2ème vague, ont lieu en Italie en été 2020.

Le Pr Matteo Bassetti, en cette période, multiplie les formules choc telles que : «Le virus a perdu de sa force» ou «Celui qui parle de 2ème vague se livre à du terrorisme psychologique». Le virus en lui-même ne serait plus un problème, le problème ce serait la communication autour de ce virus, qu’il qualifie de «terrorisme médiatique»  : «() désormais, c’est vraiment devenu très similaire à une forme de grippe. En novembre, nous aurons des centaines de milliers de personnes présentant ces symptômes et le système explosera alors parce que tout le monde sera terrifié par ce virus.»

 

 

 

Et en Italie, comme ailleurs, le virus n’a que faire de celles et ceux qui réduisent cette question à une affaire de «communication anxiogène» : la 2ème vague arrive et les malades commencent à affluer vers les hôpitaux de la Péninsule. Une certaine colère commence à monter face à cette impréparation dans un pays qui avait été pourtant très durement touché par le virus quelques semaines plus tôt. «Pourquoi n’étions-nous pas prêts face à cette 2ème vague ?» s’indignent certains.

Certains pointent alors du doigt celles et ceux qui ont utilisé leur notoriété et leur prestige pour nier ce risque de 2ème vague et pour discréditer les médecins et chercheurs qui

tentaient de mettre en garde l’opinion publique et les autorités.

Voilà pour le contexte, en ce mois de novembre 2020, époque de la réalisation du film Ceci n’est pas un complot . Nous paraît difficile d’analyser honnêtement les propos tenus alors par le Pr Bassetti sans tenir compte de ce contexte et du recul déjà disponible à ce moment-là.

10 secondes de tromperie

Donc, pour résumer cette brève séquence de 10 secondes :

– Le contexte, pourtant essentiel, est totalement occulté

– Les informations (vérifiables) sur les décomptes des décès, qui contredisent les propos du Pr Bassetti, sont également occultées, alors qu’elle figurent dans l’article cité

– Les propos du Pr Bassetti, déjà faux à la base, sont déformés et exagérés

Pour conclure, précisons que, si l’on peut lui reprocher certaines déclarations à l’emporte-pièce et une certaine mauvaise foi, le Pr Bassetti, contrairement à certains «rassuristes» du monde francophone, n’a pas cherché à dissuader la population de se protéger et de protéger les autres. Il n’a notamment jamais versé dans les théories «antivax», position qui lui a d’ailleurs valu des attaques et même des menaces, contre lui et sa famille, de la part de certains milieux complotistes.

Grompf

 

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