Dans un précédent article, nous avons traité une scène du film (vers 32:09) portant sur le JT de la RTBF du 9 mai 2020. En résumé, le réalisateur de «Ceci n’est pas un complot» prend un extrait du JT, le découpe et le remonte habilement pour fabriquer de toutes pièces une accusation de «fake-news».
Il faut savoir que le réalisateur avait déjà utilisé ce montage sur Facebook quelques mois avant la sortie du film, le 8 octobre 2020, afin de présenter son projet et de récolter des fonds :
«Depuis le 27 juillet, je n’ai plus rien publié concernant le Covid. Mais là, je n’en peux plus ! Merci de partager..»
On sent bien l’indignation profonde, la colère sincère…
Cette vidéo diffusée sur Facebook dure plus de 5 minutes. Nous reprenons ici l’extrait concernant le fameux JT de la RTBF:
Si la version définitive comporte de très légères différences, c’est surtout la suite qui nous intéresse ici: l’utilisation qui en est faite.
«Je ne décolère pas»
«C’est pour mon père que je veux mener cette enquête, et pour toutes celles et ceux qui doutent, qui se demandent si nous ne sommes pas victimes d’une vaste mascarade. Qu’on ne me dise plus jamais que la presse est un contre-pouvoir. Je veux faire ce film parce que je ne décolère pas.»
Le réalisateur ne décolère donc pas.
Il ne décolère pas face à une fausse histoire de manipulation médiatique qu’il a lui-même bricolée de toutes pièces. Il a coupé, remonté, tordu et déformé les propos d’un autre journaliste, donnant l’illusion que ce journaliste a menti au public ; et ensuite, il finit par y croire au point qu’il n’en décolère plus…
Remarquons encore le procédé consistant à recourir à un faux questionnement. Le réalisateur parle de «ceux qui doutent, qui se demandent si nous ne sommes pas victimes d’une vaste mascarade». Or, si on fait confiance à son récit, il n’y a AUCUNE place pour le doute, il ne peut y avoir que la CERTITUDE absolue que, oui, nous sommes «victimes d’une vaste mascarade».
Et on voit à l’écran, en gros plan, le visage de son père, un homme âgé, que l’on devine très préoccupé par ces propos entendus au JT :
«L’heure n’est pas au relâchement. On le voit, dans certains pays comme l’Allemagne, la courbe repart à la hausse…».
[…]
«En certains endroits. On pourrait même reconfiner».
Sauf que si ce père a bel et bien regardé le JT de la RTBF à 13h ce 9 mai 2020, il n’a jamais entendu les propos retranscrits ci-dessus. S’il a regardé ce JT, voici ce qu’il a entendu :
«On a enregistré au cours des 24 dernières heures 76 nouvelles hospitalisations. Elles sont en baisse. Tout comme le nombre de décès. 76 également. Il reste 502 patients aux soins intensifs. Là aussi, c’est moins qu’hier. Et malgré cette tendance positive, les experts sont unanimes, l’heure n’est pas au relâchement. On le voit, dans certains pays comme l’Allemagne, la courbe repart à la hausse en certains endroits. On pourrait même reconfiner. Et chez nous, pour le virologue Marc Van Ranst, il y a encore beaucoup trop de monde dans les rues et dans les parcs. Benoit Feyt.»
De plus, l’actualité allemande de ce jour autour de la pandémie ne se résume pas à une histoire de cluster dans 1 abattoir. Si le réalisateur a suivi les actualités allemandes, comme il l’explique, alors il a forcément dû entendre parler de la préoccupation (nous disons bien «préoccupation», pas «panique», ni «affolement») de l’Institut Robert Koch quant à la hausse momentanée du fameux taux de réplication «R», de la hausse des cas marquée dans 3 cantons (et non pas 1 seul), etc. Ce n’était pas la panique en Allemagne donc, mais la préoccupation ne se limitait de loin pas à 200 cas dans 1 abattoir.
À votre bon cœur, Messieurs-Dames !
Imaginons-nous maintenant dans la peau de celles et ceux qui ont accordé leur confiance au réalisateur et ont donc cru le récit qui leur était proposé. Que peuvent faire ces personnes qui, en automne 2020, découvrent cette petite vidéo et partagent ce sentiment de colère ?
Et bien il y a un lien vers la page Kiss Kiss Bank Bank du projet, avec un appel aux dons.
Et oui, celles et ceux qui auraient été émus par ce récit de mensonge à la TV publique (et par l’image en gros plan de ce père inquiet) ont la possibilité d’agir, de faire quelque chose de leur indignation. En quelques clics, carte de crédit en main, ils peuvent contribuer financièrement à ce projet de film qui promet de mettre en lumière toutes ces manipulations médiatiques…
Sur cette même page, nous lisons cette phrase :
« Jamais auparavant je n’avais ressenti une telle urgence ! Je suis en colère face à la véritable propagande qui accompagne cette épidémie et aux effets désastreux qu’elle a sur les mentalités. »
C’est une thématique que l’on retrouve souvent dans le discours du réalisateur, lorsqu’il parle de son travail : la colère.
Il est en colère.
Très en colère.
Et, comme nous pouvons le voir, il en arrive même à se mettre en colère face à une fausse histoire qu’il a lui-même montée de toute pièces, sans aucun souci de véracité.
Récolter des fonds sur base de fausses informations, cela s’appelle comment, en français?
Notes
Pour compléter, au sujet de l’actualité allemande
Nous l’avions expliqué dans le précédent article, les nouvelles en provenance d’Allemagne ne se résumaient pas à une histoire d’1 cluster dans 1 canton donné.
Nous proposons ici quelques liens, tout en encourageant le lecteur curieux à aller lui-même fouiller dans les archives de l’époque.
- https://www.france24.com/fr/20200508-covid-19-en-allemagne-vers-un-reconfinement
- https://www.lefigaro.fr/international/coronavirus-premiers-couacs-dans-le-deconfinement-en-allemagne-20200509
- https://www.thelocal.de/20200509/german-towns-to-reimpose-shutdowns-over-virus-clusters/
- https://www.reuters.com/article/us-health-coronavirus-germany-cases-idUSKBN22M019
- https://www.letemps.ch/monde/confinement-prolonge-1er-juin-grandebretagne-signaux-inquietants-allemagne-baisse-deces
En fin de compte, la pandémie avait continué à reculer. Ces nouvelles, momentanément préoccupantes, ne marquaient pas le début de la 2ème vague que certains craignaient.
En revanche, le 8 octobre, lorsque Bernard Crutzen publie sa vidéo sur Facebook, il n’y a plus de place pour le doute : la 2ème vague a bel et bien débuté en Allemagne. Il suffit de consulter les actualités de l’époque.
– Coronavirus : 4 000 nouveaux cas quotidiens en Allemagne, une première depuis avril
– Un couvre-feu imposé à Berlin et Francfort pour endiguer le Covid-19
– Steigende Corona-Zahlen : Ärzte warnen vor Engpass in Kliniken («Le nombre de Corona en hausse : les médecins mettent en garde contre l’engorgement des cliniques»)
– Germany reports ‘alarming’ rise in coronavirus cases («L’Allemagne enregistre une hausse alarmante des cas de Covid»)
etc.
Le risque de 2ème vague, qui pour certains paraissait très théorique en mai, était une réalité indéniable ce 8 octobre 2020.